Français Ep 3: « Décriminaliser les drogues sauve des vies » avec Spectre de Rue
Contre la guerre à la drogue, pour la réduction des méfaits
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Emilie: Je pense que la police, c'est pas une bonne solution parce que les surdoses, la crise des surdoses, la consommation en général, c'est pas un enjeu de sécurité publique, pis tu sais, la police est là pour assurer la sécurité du public. C'est dangereux pour la personne qui le fait, pas pour la communauté autour.
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Karl: Nous faisons face à une véritable crise des surdoses partout dans les grandes villes au Canada et notamment à Montréal. Lors des 5 dernières années, plus de 2 000 personnes sont décédées d'une surdose au Québec, et plus de 30 000 personnes ont perdu la vie dans le reste du Canada.
Alia: Depuis des décennies, de nombreuses ressources sont investies dans la criminalisation des drogues. Celle-ci est souvent présentée comme une tactique nécessaire parce que les drogues ne sont pas sûres. Mais les drogues sont plus ou moins sûres en fonction des conditions dans lesquelles elles sont produites, obtenues et consommées - et la criminalisation des drogues a aggravé toutes ces conditions. En d'autres termes, la "guerre contre la drogue" est une source majeure d'insécurité.
Karl: Les personnes qui utilisent des drogues, les intervenants, les chercheurs, et les militants soutiennent depuis longtemps que les drogues et les surdoses ne doivent pas être traitées comme une question de sécurité publique, mais plutôt comme une question psychosociale et de santé publique qui requiert une approche centrée sur la dignité, l'aide et la compassion.
Alia: Alors que d'autres grandes villes canadiennes, comme Vancouver et Toronto, ont mobilisé leur gouvernement municipal pour décriminaliser la possession de drogues en demandant une exemption fédérale sur les lois relatives aux drogues, l'administration de Projet Montréal n'a rien fait pour faire avancer la question de la décriminalisation. En réponse, des dizaines d'organisations communautaires se sont réunies pour créer la coalition "Ville Sans Surdoses", pour pousser la ville de Montréal à agir.
Karl: Récemment, la coalition a appris que la Ville a créé un groupe d’experts pour promouvoir la décriminalisation des drogues, notamment composé du Service de police de la ville de Montréal.
Alia: Ce comité d'experts ne regroupe pas les personnes les plus touchées par la crise des surdoses, les consommateurs eux-mêmes et ceux qui travaillent en première ligne pour les soutenir. Le comble, c'est que le SPVM est inclus, alors qu'il harcèle et met en danger les consommateurs de drogues au quotidien.
Karl: Face à cela, la Coalition Ville Sans Surdoses revendique : 1. une exemption fédérale ce qui permettrait à la Ville de décriminaliser les drogues sur son territoire; 2. L’ajout de cinq organismes communautaires au comité d’experts; 3. Le retrait du SPVM de ce comité.
Alia: Cette semaine, nous parlons avec Emilie et Eva de Spectre de Rue, un organisme qui fait partie de la coalition Ville Sans Surdoses. Actif depuis 1986 dans le quartier Centre-sud, Spectre de rue adopte une approche de réduction des méfaits pour prévenir et réduire les surdoses et la propagation des infections transmises sexuellement et par le sang.
[03:00]
Alia: Vous écoutez Brûler/Bâtir, un podcast pour réimaginer notre sécurité collective !
Karl: Brûler… parce que la police perpétue un cycle de violences sans assurer notre sécurité.
Alia: Bâtir… parce que nous pouvons investir dans des systèmes de soins, de justice et de sécurité, et les amplifier, sans recourir à la police.
Karl: Tous les mois, on discute avec des personnes qui mettent en place ces systèmes à Tiohtià:ke/Montréal, et on apprend comment la police entrave leurs efforts.
Alia: Je suis Alia.
Karl: J’suis Karl.
Alia : Et nous seront vos présentateurs.
[03:26]
Emilie: Je pense que la police, c'est pas une bonne solution parce que les surdoses, la crise des surdoses, la consommation en général, c'est pas un enjeu de sécurité publique, pis tu sais, la police est là pour assurer la sécurité du public. C'est dangereux pour la personne qui le fait, pas pour la communauté autour.
Emilie: Donc moi, c'est Émilie. Je suis coordonnatrice des équipes de proximité à Spectre de Rue. J'ai travaillé dans des sites fixes de consommation supervisée, en travail de rue aussi pendant plusieurs années. Puis, je suis aussi présidente de l’AQPSUD, qui est l'Association Québécoise de Promotion de la Santé des Utilisateurs de Drogues. Et étudiante en travail social.
Eva: C'est déjà pas mal. Ouais, je trouve que c'est pas mal. Moi, c'est Eva. Je suis pair aidante en intervention et proximité, à Spectre de Rue depuis bientôt 3 ans déjà. Pis sinon, j'étudie à l'université de Sherbrooke en toxicomanie. Je suis sur des chaires de recherche sur l'itinérance en général, la toxico, un peu toutes ces choses là dans mon temps libre.
Emilie: Donc Spectre de Rue, c'est un organisme communautaire dans le quartier Centre Sud, on a un site de consommation supervisée où les gens peuvent venir évidemment, donc consommer. Ils peuvent aussi venir chercher du matériel de consommation, de sécurité safe-sex, avoir accès à des intervenants infirmiers et tout. Dans ce volet là, il y a aussi le service d'analyse de substances qui fait de la vérification de substances, du drug checking. Il y a TAPAJ qui est le volet jeunesse pour les 16-30 ans qui est du travail alternatif payé à la journée où on fait du dépannage économique pour les jeunes en situation de précarité – sous forme de plateaux de travail qui sont rémunérés cash après leur plateau de travail directement. Il y a ensuite le volet proximité qui est notre programme à Eva et moi où là il y a du travail de rue, le volet de pair-aidance, du travail de milieu. Ouais, faut que je vous quitte un instant parce que j'ai une situation de crise à aller gérer. Donc je reviens après.
[Emilie part]
Eva: Je vais parler un peu plus en profondeur du rôle de pair aidant. Moi j'ai ma job parce que j'ai un vécu expérientiel, j'ai un vécu qui s'apparente aux personnes avec qui on intervient. C'est vraiment quelque chose qu’on valorise dans le domaine de la toxicodépendance, l’itinérance et toutes ces choses. Le principe vient du rien sur nous sans nous. Moi, ça fait 3 ans que je fais ça, avant j’avais aucune idée c’est quoi. Je savais pas que ça existait. Pis j'ai vu l'offre d'emploi, j’ai embarqué, pis me voilà. Mon volet c'est les préventions des ITSS est plus spécifiquement le VIH et l’Hépatite C.
Karl: Ca rejoint un peu notre prochaine question qui était sur la trajectoire qui vous a amené à faire ce que vous faites aujourd'hui. Quel sens ça prend pour toi de justement aider les personnes qui vivent des situations que tu as déjà vécues ou que tu vis encore?
Eva: C'est selon moi, c'est juste la logique, la continuité de mes intérêts qui étaient là depuis longtemps, qui matchaient avec ce que j'ai vécu, puis qui matchait avec pourquoi je suis venue à Montréal aussi pour pouvoir faire les choses un peu plus à ma façon. Tu sais, parce que moi je viens de la côte nord, puis tu as pas tant d'alternative vis-à-vis de la façon d'arriver dans un poste. Ils ne vont pas nécessairement prendre quelqu'un qui a pas d'expérience scolaire dans un poste de travail social ou ce genre de choses là. Y'a pas autant de diversité d'interventions comme le travail des rues ces choses là ou si oui c'est vraiment minime tu sais y'en a pas beaucoup. De venir ici, c'est un peu comme m'offrir cette liberté là. De prendre des gens là où ils sont, puis de surtout pas être dans le jugement en fait, vis-à-vis certaines pratiques, certaines attitudes de vie. Anyway, je suis qui pour juger? Pis de de vraiment essayer de comprendre la personne pis où elle est rendue, pis de respecter le rythme en fait de chacun et chacune.
[Emilie revient]
Emilie: Va falloir que je monte à un moment, mais pour l’instant je descends.
Karl: Tu as beaucoup parlé des idées philosophiques en arrière de la réduction des méfaits. Mais, peut être Émilie tu peux continuer, concrètement qu'est ce que concrètement ça veut dire?
Emilie: Concrètement ça veut dire d'écouter le besoin de la personne, de pas faire passer notre besoin avant le sien. Tu sais, si on pense par exemple à moi, mon besoin c'est de rentrer chez moi tous les soirs puis de dormir. Pis d'avoir une couverture chaude, un oreiller confortable. C'est facile de me dire, Ouais mais tout le monde a besoin de dormir. Pis tout le monde veut dormir dans un lit avec une couverture, un oreiller douillet. C'est pas nécessairement le cas. Donc tu sais, des gens qui disent, J’ai nulle part où dormir ce soir. Faut pas partir tout de suite dans, OK on va te chercher un refuge, on va trouver une place où dormir et tout. Son besoin ça peut être juste d’avoir 3 piasses pour s'acheter un café au McDo pour passer la nuit au chaud dans le McDo pendant un moment. Ca peut être d'avoir juste un sleeping bag pour pas avoir super froid pendant la nuit. Et ce, même si ça peut être confrontant, même si ça peut être difficile à voir des fois. Parce que tu te dis, Cette personne-là, clairement elle a besoin de prendre une coupe de jours de break puis bien manger, bien dormir, prendre une douche. Ben tu sais peut être à ce moment là, son besoin c’est juste de passer à travers la journée pis on verra après. On n'est pas nécessairement au même rythme non plus. Donc de suivre son rythme pis d'y aller avec ce qu’ils veulent, parce que les gens savent ce qui est bon pour eux en général.
C'est aussi d'être un peu ingénieux, d'être ouvert, puis d'être flexible. Tsé, je pense à une job que j'avais, où on avait un programme de logements, où on aidait des gens à se trouver un appartement. Donc tu sais, c'est souvent des personnes qui étaient en situation d'itinérance depuis plusieurs années.
On leur trouve un appart, on le meuble, on achète des meubles neufs. Même moi je rêve d'avoir accès à cette subvention. Y a ta petite cuisine, ta chambre, ton nouveau lit. Il y en a plein que finalement ils dormaient dehors, tu sais. Ils ont leur appart, c'est ça qu'ils voulaient, tu sais, ils nous l'ont nommé, ils ont fait les démarches, ils se sont mobilisés autour de ce besoin là pour y avoir accès. Tu sais, c'était quand même pas tout cuit dans le bec. Mais incapable de dormir dans leur lit, incapable de dormir dans quatre murs parce que c'est anxiogène, parce qu’ils sont pas confortables. Fak tu sais là on est comme, OK ben qu'est ce qu'on fait. Tu sais il va chez eux faire ses repas, relaxer, pis la nuit il part avec sa boîte de carton pis sa couverte pis il va dormir dans le parc à côté. Je pense à quelqu'un avec qui j'étais en lien, je pense ça a pris un an avant qu'il dorme dans son lit. Ca commençait dans le parc, pis finalement il dormait chez eux mais par terre. Pis à un moment il a fini par dormir dans son lit. Il aimait ça finalement, un lit, mais ça a été long avant de l'amener à ça. Si on l'avait rushé en faisant, On paye un appart pour que tu dormes dedans, puis sinon bien tant pis, puis tu vas être dehors si tu reviens pas dedans. On l'aurait mis en situation d'échec, on aurait perdu le lien avec. Et on n'aurait pas répondu à son besoin.
Eva: C’est quelque chose par rapport à la communauté. En fait, une fois que tu te ramasses dans ton appartement, tu te rends compte que t'es actually vraiment seul. Il manque de bruit, il manque la sécurité que tu avais en gang où -
Emilie: Je reviens, encore.
[Emilie part]
Karl: C'est comme imposer que le besoin de tout le monde, ça serait d'être en logement.
Eva: C'est sûr. Imposer notre vision qu'on a du confort, puis de d'un mode de vie en très très gros guillemets “normal.” Je pense personnellement qu'il faut vraiment penser plus dans le petit. Tu sais de pas avoir quelque chose au fédéral qui est une décision pour toutes les autres, toutes les autres provinces, tous les autres villages, toutes les autres villes. Tu sais, faut vraiment que ça soit comme la communauté qui décide de ce qui fonctionne pour eux. Parce que quelqu'un qui vit pas dans ma communauté, qui ne comprend pas mes réalités. C'est sûr que la décision qu'il va prendre va être biaisée en fonction de ce qu'elle a connu.
Alia: Je trouve souvent, quand j'explique quelque chose à quelqu'un, une situation, une histoire, il me demande, Oh, is it scalable? It’s like, the only thing worth pursuing are things that can be –
Eva: – bigger.
Alia: Transported across the country or communities. And it’s interesting that you’re saying we should rethink why we want to do that. What would it mean to start with each other in these particular communities? I think that’s what the One Million Experiments Project that we kind of based this podcast after – something that they really emphasize is: these are models that we think work really well in these situations, but they're not going to work for other people. They're not going to be replicable in other situations. They can inspire certain things, but they're not like cookie cutter situations because being entangled with people is much messier.
Karl: Ça rejoint quand même un grand principe d'abolitionnisme: les solutions de soins par les communautés elles-mêmes. Puis ça sera pas top down.
Alia: Ouais, c'est ça.
Eva: C'est comme considérant l'éducation dans notre contexte capitaliste individualiste, pour certaines personnes qui vont pas nécessairement avoir développé cet esprit-là de communauté – parce qu'ils sont comme je suis ma propre personne, je dois faire mon propre cash, je dois avoir ma maison – ils vont avoir plus de difficultés en fait à comprendre tout le principe de community care. De justement d’abolition slash on s'arrange par nous-mêmes à la place de faire confiance au système carcéral, au système judiciaire. Il y a des initiatives comme le PODS, le Projet d'Observation des Drogues et des Surdoses. Pour l'instant, c'est juste à Montréal que ça se fait, mais on peut faire des signalements, puis ils vont faire des alertes, souvent vraiment plus rapidement que la santé publique.
Karl: Si on rentre dans le vif du sujet, on parle souvent de guerre contre la drogue ou de war on drugs. Surtout plus dans le contexte américain, aux États-Unis, dans l'ouest canadien aussi. Est ce que tu penses qu'on est dans une guerre contre les drogues à Montréal? Puis qu'est ce que ça veut dire pour toi une ville qui est en guerre contre les drogues?
Eva: On se fait éduquer avec cette vision là qui est comme la consommation c'est mal, les personnes qui prennent de la drogue, c'est pas des bonnes personnes, etc. Même dans les personnes qui consomment, il y a souvent une catégorisation de comme ce qui est un bon drogué, un mauvais drogué, des drogues douces, des drogues dures. On reste quand même biaisé de ça. Puis c'est vraiment dur de s'en détacher, tu sais. Pis par rapport à war on drugs comme moi personnellement comment je le vois que ça se manifeste? Justement dans les interactions avec la police, avec le monde qui sont dans rue. Ou mettons les commerçants aussi de la façon dont ils vont les traiter. De voir la façon tellement négative que les gens perçoivent les gens qui consomment. Tout le jugement en arrière de ça.
Toutes ces affaires là ça devient tellement, tellement gros. Les alternatives, genre le safe supply, genre la décriminalisation, tout ça permettrait des façons de consommer qui seraient vraiment plus sécuritaires. Parce qu'on s'entend que comme tout, la consommation comporte un certain risque. Mais on peut tu comme donner une chance aux gens de prendre moins de risques dans ce qu'ils font pis de les laisser faire ce qu'ils veulent quand même?
Karl: On reste beaucoup sur les comportements des personnes, puis comment elles ont des issues, puis des défaillances. Plutôt que de dire: il y a des conditions sociales, il y a beaucoup d'isolement, les gens reviennent consommer. Puis ces drogues-là pourraient ne pas être contaminées.
Eva: Oui, c'est ça. C'était vraiment aussi aller dans qu'est ce qui fait que les gens consomment, qu'est ce qui fait que le monde se ramasse dans la rue? Puis ça ramène un peu au nom Spectre de Rue, c'est que moi comment je le perçois, c'est qu'il y a vraiment comme un spectre, une grande diversité de variétés de personnes avec qui on intervient. D'où l'importance justement de ne pas faire quelque chose de global pour tout le monde.
Alia: Je pense que presque tout le monde est impliqué dans la crise des overdoses. Si c'est pas toi, tu as quelqu'un de proche de toi qui l’est. It’s something that touches, I would say, the corners of all of our lives.
Eva: D'attaquer on va dire la crise des surdoses, ce n'est pas juste de changer les comportements des personnes qui consomment. C'est vraiment d'aller dans quelque chose de plus creux puis de comprendre, qu'est ce qui fait qu'on est rendu là, pourquoi on est rendu là, qu'est ce qui ne marche pas. Pis, d'écouter en fait, d'écouter le communautaire, d'écouter le monde, ce qu'on va dire, tu sais. Il y a des projets de recherche qui vont vouloir aller chercher les personnes avec du vécu expérientiel pis qui vont faire: selon toi, qu'est ce qui sera adapté à ta réalité? Ça serait quoi les changements qu'on pourrait faire dans le quartier? Pis y en a qui répondent carrément, ça fait 20 ans que vous nous posez les mêmes questions pis ya rien qui a changé encore fak à la place de encore questionner les gens on peut avoir quelque chose qui se passe pour de vrai.
Karl: Comment décriminaliser les drogues pourrait en fait aider votre travail?
Eva: De plusieurs façons, en fait. Déjà ça coûte cher de criminaliser le monde pour vrai. Pas pour nous, mais pour l'État. Tu sais, ça permettrait d'autres alternatives, d'autres projets. C'est pas tout le monde qui veut arrêter de consommer, qui est capable d'aller en détox ou quoi que ce soit, mais pour l'instant c'est ce que les gens proposent. Soit c’est ça, soit tu t'arranges par toi-même ou soit tu viens sur un programme de Suboxone Méthadone qui n'est pas adapté pour tout le monde non plus. Parce que c'est vraiment strict dans le genre faut que tu sois là tout à telle heure, faut que tu sois là chaque jour. Ça ne fit pas avec tout le monde, c'est c'est aussi simple que. De décriminaliser, de définancer, si c’est fait pour aller dans cette direction-là, ça peut tellement amener de projets qu'on n'est pas capable de mettre sur pied en ce moment mais qu'on aimerait développer je pense. Mais les gens restent convaincus que le système punitif, c'est ça qui va fonctionner. Que tu vas arrêter de faire quelque chose parce que tu as peur des répercussions que ça peut amener de faire cette chose-là. Mais ça ne marche pas obviously parce qu'il y a plein de récidives quand quelqu'un est incarcéré. Les gens vont juste trouver une façon de faire les choses sans se faire pogner et puis ça amène des isolations quand c'est de la consommation. A un moment donné, c’est juste un cercle vicieux. Comme hé, ça marche pas, on essaie de faire quelque chose, ça marche pas, on essaie de faire quelque chose, ça marche pas. Puis on s'entête. On s'entête au système punitif, au système carcéral. Quand ce n'est pas adapté, tu sais.
Alia: To be in a situation where you might be able to or want to, either find ways of using drugs in a safer way or stop using, you need to be supported and safe. Like the idea that being in prison or being in a situation where you would be so terrified, that you wouldn't just be using more. Or be using in more unsafe ways. It's so obvious.
Eva: Qui peut facilement mener à un sentiment d'échec. Tu sais, on va prendre l'exemple des rehabs ou des narcotics anonymous. Ce n'est pas adapté pour tout le monde. Je vais prendre un exemple d'amis qui sont allés dans des rehab. Ca mimique le système punitif en fait. Si admettons, on arrive en retard à une des réunions, [la punition] est adaptée à la personne. Tu sais mettons quelqu'un qu'était full social, si elle arrive en retard à son rendez vous, elle perd son droit de parler aux autres pendant une journée.
Ou l'inverse, si quelqu'un est antisocial, il ne parle pas trop aux autres, c'est lui qui arrive en retard. Il est forcé de parler à au moins 10 personnes pendant la journée. Ce genre d'affaires là. Pis c'est comme, ça ressemble vraiment à un genre de système punitif et comme si tu fais ça, tu vas avoir des conséquences. Je trouve ça complètement absurde. Pis moi être là-dedans c'est sûr que je vais m'arranger pour sortir plus tôt pis je vais retourner consommer parce que what the fuck que je viens de vivre.
[18:22] Karl: Le carcéral arrive à tellement déployer ses racines dans toutes les sphères de la société. Je n'en reviens pas que la police arrive encore à avoir le monopole du discours de la drogue, puis à quel point c'est mauvais, puis c'est criminel. Alors on devrait tellement plus aborder ça d’un point de vue psychosocial, puis de santé, puis de personnes qui sont isolées, qui vivent différents enjeux.
Eva: Oui, complètement, oui. C'est ça, c'est même pas juste des enjeux de santé mentale ou d'isolement ou quoi que ce soit. C'est aussi des enjeux de tout ce qui est financier, de tout ce qui est la crise du logement, la sécurité d'emploi, les études, l'immigration, tout ça. Ça va tellement plus loin que ce que les gens s'imaginent. On ne peut pas juste attaquer le problème de la consommation. C'est vraiment comme de se poser des questions en tant que société de comme ça marche vraiment pas, on peut changer les choses? On peut tu se regarder en pleine face puis comprendre qu'est ce qu'on fait? Comment on participe dans ce système là, à précariser les gens, à marginaliser les autres.
Karl: Ouais, les gens ne savent pas à quel point c'est violent d'être en contact avec ce système-là qui te surveille. Qui crée une porte tournante. Une fois que tu rentres genre pour une affaire de consommation après t'es plus suivi.
Eva: T’es étiqueté à vie. C’est fini.
Karl: Puis y a les squares, les red zones qui sont aux alentours des personnes, fait qu'elles ne puissent pas sortir dans certains quartiers.
Eva: Tu restes pogné dans tes affaires. T’es pas capable de sortir de la zone qu'on t'a imposée. C’est rough pour la santé mentale. Pour vrai. C’est rajouté des frontières à celles qu’on a déjà.
Karl: On a parlé des limites en fait de la répression, puis du système judiciaire. Puis on voudrait savoir ton point de vue sur comment Spectre de Rue peut proposer quelque chose d'autre? Qu'est-ce qu’on pourrait proposer d'autre s’il y avait un financement adéquat?
Eva: Comment ça fonctionne dans le communautaire en ce moment, c'est on s'adapte aux réalités du moment. On n'a pas les outils ni les ressources pour attaquer directement la source, pour aller changer ces choses là. Nous, on est vraiment terrain dans les besoins de la personne, considérant tout le contexte sociétal dans lequel on est en ce moment. Je vais prendre par exemple TAPAJ. Si je ne me trompe pas, TAPAJ a commencé dans une période où qui avait beaucoup de squeegee puis de crimes mineurs, mettons des vols dans les épiceries pour se nourrir. [TAPAJ] c'était pour donner une alternative aux jeunes, pour avoir un certain revenu. Parce que c'est pas vrai que le 9 à 5 c'est adapté pour tout le monde. Tout le monde n’est pas capable de travailler à chaque jour, à chaque semaine d'une façon régulière, d'avoir des comptes à rendre, avoir un boss. Fak c'était vraiment s'adapter aux besoins, s'adapter à ce qui se passe en ce moment, tu sais? C'est encore super pertinent à ce jour. Y en a un peu partout aussi. C'est pas juste à Montréal, t'en as ailleurs au Québec, y en a en France. Pis comme chacun à leur couleur, tu sais, parce qu’ils s'adaptent aux réalités de la communauté autour.
Sinon par rapport au projet de pair-aidante, ce qui est vraiment valorisé c'est qu’on connaît la réalité des personnes avec qui on intervient parce qu'on a souvent vécu quelque chose de similaire. Ça crée un lien différent, une façon de briser l’isolement qui est différente. Sinon, mettons les SCS, juste le fait que les gens viennent consommer à quelque part de sécuritaire, que les gens sont équipés pour répondre à une overdose, qu’on a du Naloxone, des infirmières.
Je vais donner un exemple, une personne qui est décédée maintenant. Ça fait à peu près 3 ans. Puis c'était en plein hiver. Il faisait pas loin de -30 dehors. Puis j'étais partie faire de la rue avec ma collègue. On arrive juste à côté de Spectre de Rue, puis cette personne-là qui est en train d'essayer de se shooter dans la main. Mais son hit avait gelé dans sa seringue. Il n'était pas capable de s'injecter. Puis là il rushait tu sais, puis il était déjà un peu gelé. On lui a dit: ‘scuse, ça marchera pas. Je suis vraiment désolé mais est ce que tu veux qu’on t’accompagne à Spectre pour aller dans le SCS? Tu peux faire dégeler ta seringue, te faire un autre hit en attendant, puis tu le referas plus tard. Fak, juste de pouvoir proposer cette alternative. Pis la personne c'est la première fois qu’il venait dans un SCS pis il a commencé à venir de façon plus régulière t'sais. Au moins 1 ou 2 fois par semaine. Il venait chercher du matériel même quand il ne consommait pas, ça propose quelque chose de de de safe. Là y en a 5 à Montréal. Puis on n’est pas capable de couvrir comme around the clock, parce que manque des financements, manque d'employés. Manque d'heures d'ouvertures.
[Emilie revient]
Karl: [Rires] On va juste te présenter au début de l’entrevue!
Emilie: Ah je suis full déçue. Mais c'est ça, fallait que je m'occupe de mon équipe.
Karl: On était arrivé à comme la judiciarisation c'est pas la bonne idée, ça crisse les gens le trou, qu'est ce qu'on peut construire à l'entour? Pis qu'est ce que Spectre pourrait avoir besoin pour pratiquer les soins?
Emilie: Évidemment une décriminalisation totale de la consommation des substances. Mais tu sais aussi, on criminalise beaucoup, on judiciarise beaucoup les personnes pauvres. Faut se le dire. Leur occupation de l'espace public par exemple. Puis d'avoir des communautés supportantes qui ne stigmatisent pas, qui comprennent les réalités des autres aussi. Tu sais, souvent, les gens qui consomment vont être perçus de façon négative, surtout s'ils sont en situation de pauvreté ou de précarité.
Alors que tu sais, y a pleins d'affaires qui peuvent être démystifiées, puis qu'on peut comprendre puis qu'après ça explique des comportements ou des façons de réagir. Je pense qu’il faut construire des espaces, des communautés où les personnes concerné par les enjeux ont une place centrale, évidemment. Puis pas juste pour bien paraître, mais où on les implique vraiment dans les besoins, la construction de cet espace là. Donc tu sais vraiment à partir de la base.
Eva: Ca fait du sens.
Karl: Comment t'en es venu à croire que la police n'était pas la bonne réponse pour faire face aux surdoses?
Eva: C'est pas que j'ai vu quelque chose qui m'a convaincu nécessairement de ça, c'est que ça va déjà avec mes valeurs globales. Pis ça revient à mettre les compétences de chacun de l’avant. Parce que c'est pas réaliste de demander aux policiers d'être capable de réagir dans toutes les situations possibles. D'être capable de de réagir adéquatement aussi, parce que tu sais, y vont réagir d'une certaine façon qui est peut-être pas adaptée à la réalité, qui va peut-être empirer une crise. A la place de mettre comme tout ce fardeau là sur une personne, sur un groupe de personnes, on peut tu se relayer la puck?
Emilie: Je pense que la police n'est pas une bonne solution parce que la crise des surdoses, la consommation en général, c'est pas un enjeu de sécurité publique. Pis tu sais, la police est là pour assurer la sécurité du public. Une surdose c'est dangereux pour la personne qui la fait, pas pour la communauté autour. Donc avec une approche de répression, je vois pas quel besoin on répond dans un contexte de crise des surdoses.
Alia: Reframing that fundamentally is important. I think sometimes there’s this public discourse that overdoses are dangerous for the people in proximity. If we’re trying to think of a world where everyone is safe, when you see someone either overdosing or in an unsafe situation, maybe it's actually your responsibility to have more knowledge to support them instead of it being the responsibility of the public to shield you from having to witness that.
Emilie: On amène les gens à croire que c'est dangereux, les gens qui consomment alors que tout le monde – beaucoup de monde – consomme à un niveau ou un autre. Si tu le fais dans l'espace public, ben évidemment ça va amener d'autres enjeux parce que t'as nulle part d'autre ou le faire. Ben là tu vas “mal” occuper l'espace public. Tu vas peut-être avoir des interactions conflictuelles avec des gens autour de toi. Parce que quand t’es sur la brosse, tu feel un peu bagarreur. Mais tu sais si t’es seul chez vous avec tes amis, y'a personne qui le voit, ça fait que tu représentes pas un danger pour les autres.
Karl: Certaines personnes ont le droit de consommer.
Emilie: C'est ça. Puis, dans certains contextes, de certaines façons. On essaie d'invisibiliser des populations complètes, des enjeux complets. Ces enjeux-là ne vont pas se régler parce qu'on les voit plus. Si tu entends plus de monde crier dans le parc à côté de chez vous, ça veut pas dire qu'ils vont mieux, puis que leur problème est réglé, ça veut dire qu'ils sont ailleurs, puis ils sont peut être plus en danger.
Parce qu'il y aura personne qui va les entendre crier, parce que s’ils font une surdose, ils vont la faire où si c'est pas dans le parc? Est-ce qu’ils vont être cachés, est ce qu'on les verra pas? Puis ça c'est quelque chose qu’on a entendu avec la montée des surdoses: des gens qui consomment dans l'espace public parce qu'ils ont peur de faire ça dans une toilette de centre d'achats pis de mourir. Tandis que si ça arrive sur le trottoir, y a bien quelqu'un qui va le voir être passed out par terre. Tu sais fak les gens ont peur pour eux, pour leurs amis, pour leur communauté. Puis c’est terrible. Ça n'a pas d’allure de vivre dans ce climat de peur. Pour nous parce que les substances sont empoisonnées, puis on sait jamais... Est-ce que tu vas te réveiller après ton hit ou pas?
Alia: Alors le nom du podcast va être Brûler / Bâtir. Ma question, c'est quel système carcéral t'aimerais brûler et qu'est-ce que tu voudrais bâtir à la place.
Eva: Brûler les fucking amendes. Une amende c'est une punition juste pour quelqu'un qui est pauvre, parce que quelqu'un qui est riche il va s'en sacrer, il va la payer. Y a déjà des personnes qui ont dit ça verbatim: Ah non mais c'est pas grave, l’amende de parking c'est juste 80 piasses. Parce qu'ils vont la payer, ça change rien. Mais moi ça va faire que je pourrais pas m'acheter de bouffe pendant une semaine.
Tantôt tu parlais des bonnes façons de consommer, des bons endroits pour consommer, quelqu'un qui est saoul dans un bar, qui fait chier tout le monde, qui se pète la tête sur tous les coins de mur, c'est correct. Mais quelqu'un qui boit sa bière dans un parc parce qu'il n’a pas d'appart, lui, ça se peut qu'il se fasse donner une amende, ça se peut qu'il se fasse judiciariser à cause de ça. Ça se peut que les policiers viennent le déranger à cause de ça, qu'il soit obligé de vider sa bière. C’est complètement useless, donc on brûle les amendes.
Karl: Qu’est-ce que tu construirais à la place?
Eva: C'est une bonne question. Je ne m'étais pas rendu là. J’étais juste dans ma frustration.
Emilie: Je pense que je brûlerai bien des affaires pis si y faut que je décide, je pense la décriminalisation des comportements qui font pas de mal à personne. La consommation, le travail du sexe, la pauvreté. Ca blesse personne pis au contraire les criminaliser ça met le monde en danger, ça amène le monde à subir des conséquences qui sont dommageables pour elles-mêmes, mais aussi pour la société en général. Puis brûler les prisons parce que c'est la suite logique de ça. Quand t'as trop d'amendes, tu finis en prison. Quand t'es trop criminalisé, tu finis en prison. Puis finalement, ça t'empêche d'aller de l'avant, ça te met plein de bâtons dans les roues dans toute ta vie. Là, tu perds ta job, ton appart.
Emilie: Je pense que je bâtirai une belle communauté, avec des initiatives vraiment grassroots. Beaucoup d'initiatives diverses qui répondent à différentes réalités. Parce que les one size fits all, ça marche pas. Des espaces de projets où vivre. Si tu veux la paix t’as pas besoin t'impliquer dans des projets. Juste des communautés comme le fun, belles, qui se soutiennent.
Eva: De mon côté, ça ne serait pas quelque chose à bâtir nécessairement, plutôt de changer quelque chose dans l'éducation, en fait. De valoriser l'esprit de communauté, puis le respect des autres dans les espaces. Parce que mettons, quelqu'un qui est saoul, l’amende qu’il va avoir c’est celle des bruits audibles. Ce que je trouve complètement absurde. [Mais] si quelqu'un te dit peux-tu arrêter de crier s'il te plaît, j'ai un kid qui est en train de dormir. Tu fais comme ‘scuse, je vais aller crier ailleurs. Tu sais à place de comme appeler la police, que la personne reçoive une amende. De miser sur le le bon vouloir, on va dire des personnes puis de care, même s’ils font pas nécessairement partie de ta communauté.
Emilie: Puis prendre en considération que tout le monde est capable d'adresser leurs besoins, puis de répondre à leurs besoins.
Eva: Nomme tes trucs.
Emilie: De ne pas être tout le temps régulé dans toutes nos interactions, puis ce qu'on dit, puis ce qu'on fait. Puis [d’être] surveillé. Juste de le dire: Tu me déranges aujourd’hui. Pis il y a quelque part où ça les dérange moins parce que [le monde là-bas] ne dort pas non plus. Ca s'autorégule de même, j'aime ça.
[Un selfie d'Alia et Karl avant l'interview dans le sous-sol de Spectre de Rue]
[37:00]
Karl: Brûler Bâtir est produit par … Alia, Karl, Abby, Zo, et Orlando.
Alia: Un grand merci à Emilie et Eva pour leur participation à l'émission de ce mois.
Karl: Si vous souhaitez en savoir plus sur la campagne de décriminalisation des drogues à Montréal, n'hésitez pas à visiter le site web de Defund.
Alia: Notre chanson outro est de Kimmortel sur leur nouvel album Shoebox. Vous pouvez la trouver dans les show notes, avec une transcription complète de l'épisode en anglais et en français. Nous faisons ce travail à Tiohtià:ke sur les terres non cédées du Kanien’kehá:ka.
Karl: Abonnez-vous au podcast et partagez! Merci d’avoir été des nôtres et on se dit à la prochaine.